dimanche 14 février 2010

This is England – La genèse…(Vol VI)


L’épisode 5 restait sur la victoire en Cup 1901 des Spurs de Tottenham. Mais si Tottenham ne méritait guère le titre de "porte-drapeau du Sud", Arsenal, en revanche, faisait un "Sudiste" nettement plus présentable.

Fondé en 1886 par un Ecossais du nom de David Danskin, qui était employé à l’Arsenal de Woolwich, le club s’était d’abord appelé "Dial Square". Rapidement, toutefois, le nom originel fut abandonné, au profit, dans une premier temps de "Royal Arsenal", puis de "Woolwich Arsenal", puis de "The Arsenal", avant de devenir tout simplement, "Arsenal".

Adoptant le professionnalisme dès 1891, Arsenal s’était vite rendu compte que l’opposition à Londres et dans le Sud du pays n’était pas suffisamment relevée pour permettre à l’équipe de progresser, et de plus en plus, les Londoniens allèrent chercher dans le Nord des adversaires à leur pointure. De sorte qu’en 1893, ils obtenaient le droit d’entrer dans la "Football League", en tant que sociétaires de la deuxième Division. Arsenal allait y rester onze ans, obtenant sa première promotion en 1904-1905, mais en 1913, sans avoir jamais réussi rien de probant, les Londoniens étaient relégués en Division 2. Paradoxalement, de cette rélégation allait naître la base de leurs succès futurs, sous l’impulsion d’un homme, principalement : Henry Norris.

Norris, qui était alors Président du club de Fulham, avait proposé ses services à Arsneal, suggérant dans un premier temps que le club déménage du sud de Londres, où il était installé, vers le Nord, où Norris lui offrait le stade de Highbury. Le club accepta, au grand dam de Tottenham, qui jugeait d’un très mauvais oeil l’arrivée d’un voisin indésirable parce que dangereux, estimait-il. Et dès la fin de la guerre, les faits allaient lui donner raison : Arsenal retrouvait immédiatement sa place parmi l’élite, et n’allait pas tarder à y connaître une époque dorée. Avec Arsenal, deux clubs londoniens se retrouvaient parmi les anciens pensionnaires de Division 1 de la Football league : Tottenham donc, et Chelsea.

A son origine, en 1905, Chelsea n’était qu’un terrain de football, que le fils d’un maçon londonien, un certain H.A. Mears, s’était approprié. Mears se préoccupa ensuite de constituer une équipe : il acheta donc des joueurs, puis lorsqu’il en eut trouvé onze, s’attacha à leur dénicher des adversaires. La Football League se dit alors qu’il serait peut-être dans son intérêt d’avoir de son côté un homme aussi turbulent et un club aussi ambitieux, et, dès 1907, Chelsea était admis dans le giron des clubs professionnels anglais.
"Chelsea étonnera le monde", écrivait à l’époque un journaliste enthousiaste. Il parlait autant de l’équipe que du stade de Stamford Bridge, bâti sur le modèle des grandes enceintes écossais, et qui, dans l’esprit de Mears, devait un jour accueillir 100.000 spectateurs. Mais si Stamford Bridge hébergea, tout de suite après la guerre, trois finales de Coupe, le stade de Crystal Palace ayant été réquisitionné au lendemain du conflit comme dépôt et réserve de nourriture, jamais on n’atteignit le chiffre de 100.000 personnes dont rêvait Mears.

Il en alla de même pour Manchester United et de son stade flambant neuf, en cette année 1910. Jusque-là, Newton Heath, alias Manchester United, disputait ses rencontres sur le terrain de Clayton, dans la banlieue est de la ville. Mais rapidement, le club s’était senti à l’étroit, à Clayton, et s’était fait bâtir, à l’opposé de Manchester, un stade à la mesure de ses ambitions. Comme à Chelsea, à l’origine, "Old Trafford" était supposé accueillir 100.000 personnes, mais on limita rapidement à 70.000 devant les frais qu’entraînait l’aménagement des installations pour 30.000 spectateurs supplémentaires.

Manchester, à cette époque, jouissait déjà d’un certain prestige aux yeux de ses adversaires, que lui valaient ses deux succès en championnat en 1908 et 1911, et sa victoire en Cup 1909. Et c’est à Old Trafford que l’on choisit de faire jouer, en 1915, la finale de la Coupe, la dernière avant l’interruption due à la guerre, celle que l’on appela la "finale kaki", en raison du grand nombre de soldats en uniforme qui composaient l’assistance. Sheffield United s’y vengea de la défaite subie en 1901 contre Tottenham en battant un autre club londonien, Chelsea, pour lequel il s’agissait de la première finale, et qui n’allait pas se retrouver à pareille fête avant 1967 !

Ces dernières années de l’avant-guerre étaient entourées dun parfum curieux. On les appelait d’ailleurs "les étranges années d’hystérie". Bien que la reine Victoria fût alors décédée depuis une dizaine d’années, l’époque portait en elle tous les vestiges de l’ère victorienne. C’était le temps des suffragettes, des premières grandes grèves nationales, de l’état de guerre ouverte entre les différentes tendances politiques irlandaises, des premiers essais vers une société du bien-être, la "Welfare State", et bien sûr l’approche inexorable de la folie collective qu’allait déclencher la "Grande Guerre"... Et dans son petit monde, dans son étrange démarche, le football reflétait bien son époque. Oldham Athletic, une équipe inconnue, rata d’un cheveu le titre en 1914-1915. Il lui manqua un peu de solf-control dans le dernier match de la saison, ce dont profita finalement Everton qui, pour un point, fut champion.

En Coupe, Bristol City fut finaliste en 1909, Barnsley en 1910, et Bradford City puis Barnsley remportèrent l’épreuve en 1911 et 1912. Or, aucun de ces clubs n’avait réussi de coup d’éclat auparavant, et, jamais depuis, n’a refait parler de lui... On dut avoir recours à un deuxième match pour attribuer la Coupe en 1910, en 1911, en 1912, et en 1913, il fallut aller jusqu’à la prolongation, dont on avait institué le principe cette année-là pour éviter de rejouer le match, précisément. Or, après 1913, il allait s’écouler 58 ans avant qu’une finale soit donnée à rejouer.

Joueurs et entraîneurs paraissaient pour leur part ne pas très bien savoir à quel saint se vouer ; en 1909, l’Union Syndicale des Joueurs et des Managers s’était jointe aux syndicats ouvriers, malgré l’hostilité avouée de la "Football League" et de la "Football Association" ; mais peu de temps après, elle reprenait sa liberté, refusant de s’associer aux mots d’ordre de grève générale lancés par les "Trade-Unions". Il est vrai que les clubs avaient enrôlé, en prévision d’un arrêt de travail des footballeurs, un nombre impressionant de joueurs amateurs destinés à remplacer du jour au lendemain les "pros" dans leurs obligations, que ceux-ci n’avaient pas vu d’un très bon oeil l’arrivée de ces "remplaçants" !

La guerre survint, qui provoqua une interruption de cinq ans. Mais, dès 1920, le football reprit ses droits, et la "Football League", en absorbant coup sur coup la "Southern League" puis la "Northern League" s’agrandit brusquement, forte dès lors de 88 clubs, répartis en quatre divisions de 22 clubs. Ce qui revient à dire que dès 1921 le football anglais présentait, trait pour trait, le visage qu’on lui connaît aujourd’hui, alors qu’en France, par exemple, le championnat et le professionnalisme n’existaient même pas encore...
Source : "Le Football Britannique", par Patrick Blain, aux éditions Famot, 1979.