jeudi 4 février 2010

This is England - La genèse (Vol V)


A l’époque où Aston Villa dominait largement le football anglais, deux clubs du nord lui disputèrent plus particulièrement ce leadership, Sunderland et Newcastle. On y évoque également la finale historique de 1901 entre Tottenham et Sheffield.

Durant leur grande période, les joueurs d’Aston Villa étaient attendus partout, mais ils eurent, en réalité, deux oppositions plus particulièrement coriaces à vaincre : celles de Sunderland, dans un premier temps, puis de Newcastle à partir de 1905.

Sunderland avait connu une ascension fulgurante grâce à l’apport de joueurs écossais qui ne coûtaient à l’époque que la prime à la signature et une raisonnable rémunération mensuelle. En 1891, le club avait même eu à encourir les foudres de la "Football League", car dans ses rêves de grandeur, il avait illégalement engagé un gardien de but écossais, Ned Doig, d’Arbroath. Bilan : deux points de pénalité et 50 livres d’amende. Mais, dès 1892, Doig était qualifié et pour Sunderland commença alors une période faste qu’illustrent cinq titres conquis en 1892, 1893 et 1895, puis en 1902 et en 1913. Six années durant, de 1891 à 1897, Sunderland demeura maître chez lui, ne concédant qu’une défaite en Coupe à Notts County. En Coupe, paradoxalement, l’équipe ne parvint jamais à s’imposer, tombant par exemple, pour la seule finale qu’il lui ait été donné de disputer (1913) sur une équipe de Villa bien décidée à l’empêcher de réussir le doublé qu’elle était la dernière à avoir réussi, dix-huit ans plus tôt.

"Devine ce que j’ai rêvé cette nuit", dit le capitaine d’Aston Villa, Clem Stephenson, à son homologue de Sunderland en pénétrant sur la pelouse. "J’ai rêvé que nous gagnions la Cup grâce à Barber, qui marquait le seul but du match de la tête." Buchan et ses hommes répondirent par un haussement d’épaules, mais, à leur plus grand étonnement, la prédiction se réalisa et Aston Villa remporta la Coupe. Le rêve de Stephenson est naturellement resté célèbre, mais rarement il aura été donné à un club de vivre autant sur ses rêves depuis ce jour-là : plus jamais Aston Villa n’a réussi à retrouver une équipe capable d’enrichir son palmarès autant que le firent les joueurs qui, de 1895 à 1915, défilèrent sous le maillot Claret and Blue.

Avec Newcastle United, monté en première Division en 1898, c’est à un autre type d’opposition que se frotta Aston Villa. Sunderland s’était fait une spécialité du championnat, l’épreuve de régularité ; Newcastle, malgré trois titres en 1905, 1907 et 1909 choisit d’aller chatouiller Aston Villa en Cup également. Mais, par un curieux hasard l’équipe de Newcastle ne réussit jamais à s’imposer en Coupe comme elle le faisait en Championnat. Et tout cela, semble-t-il, par le fait d’un simple nom qui portait la poisse aux Nordistes dès qu’ils le prononçaient : Crystal Palace.

Entre 1905 et 1911, soit en sept années, Newcastle atteignit six fois le stade des demi-finales, et cinq fois, se hissa jusqu’à la finale (1905, 1906, 1908, 1910 et 1911). Une série remarquable que ternit singulièrement le bilan global : une seule victoire, en 1910. Et encore fut-elle acquise en deux fois, face à Barnsley, modeste formation de Division 2, après un premier match nul à Crystal Palace et une victoire dans le match d’appui joué à Everton. Comme en 1905, comme en 1906, comme en 1908, et comme en 1911, Newcastle avait été incapable de s’imposer sur le stade londonien. Et en 1907, direz-vous ?

Eh bien ! en 1907, Newcastle fut éliminé au premier tour de la Coupe, chez lui, par une modeste formation de la "Southern League" concurrente de la "Football League". Le nom du vainqueur de Newcastle ? Crystal Palace. Encore une fois, la malédiction avait frappé !

Comme Sunderland allait en avoir la possibilité, huit ans plus tard, Newcastle s’était vu offrir une chance de réussir le doublé en 1905, puisque après avoir remporté le championnat, les Geordies étaient parvenus jusqu’en finale de la Cup. Mais tout comme Sunderland en 1913, Newcastle tomba en finale contre Aston Villa bien déterminé à ne pas se laisser rejoindre, au tableau d’honneur, par son adversaire du jour, et s’inclina 2-0. La série noire commençait.

101.117 spectateurs s’étaient dérangés pour assister au choc entre Aston Villa et Newcastle. Un chiffre qui, aujourd’hui, ferait rêver n’importe quel trésorier de club, mais qui, sur le moment, ne constituait déjà plus un record, puisque Tottenham, en 1901, avait fait encore mieux avec 110.820 spectateurs...

Il faut reconnaitre que l’accession des Tottenham Hotspurs à la finale de la Cup méritait bien une telle curiosité. C’est que Tottenham, club de la banlieue de Londres, n’appartenait pas à l’élite du football d’outre-Manche, ne faisant pas partie de la "Football League". On imagine donc la fierté des Londoniens, dont les équipes de clubs ne brillaient guère que par la modestie des résultats, et pour lesquels Tottenham, accédant à la finale de la Coupe, était comme une gifle données à ces orgueilleux provinciaux, qui chaque année venaient se faire couronner dans la capitale, au nez et à la barbe des clubs locaux...

"Nous n’avons à rien à voir avec ces hordes de voyous qui débarquent ici au moment de chaque finale de Coupe" écrivait, par dépit sans aucun doute, une gazette londonienne, alors que les supporters de Blackburn faisaient leur entrée au "Kennington Oval" pour la finale de la Coupe 1885. Seize années plus tard, il ne se trouva aucun reporter pour juger, parmi les 110.000 spectateurs de Tottenham-Sheffield United, l’attitude des "voyous" qui accompagnaient les "Spurs" à Crystal Palace...

La première rencontre se solda par un résultat nul : 2-2. Un incident marqua le second but de Sheffield, que personne n’aurait accordé aux Nordistes, semble-t-il, et que le Times rapporta à sa façon le lundi suivant : "... Le résultat ne reflète pas vraiment la physionomie du match. Le second but de Sheffield fut un gros incident. Clawley, le gardien de Tottenham, eut du mal à maitriser le ballon, mais il y parvint. L’arbitre décréta que le ballon avait franchi la ligne, et accorda le but. Clawley lui expliqua que c’était impossible, car il aurait fallu qu’il soit lui-même derrière la ligne pour que le ballon soit entré."

Mais l’arbitre se montra intransigeant et, à 2-2, l’on dut rejouer. Tottenham et Sheffield se retrouvèrent à Bolton pour la seconde édition, et, un peu contre les pronostics, les Londoniens gagnèrent cette fois par 3-1. Tottenham devenait ainsi le premier, et le dernier à ce jour, club n’appartenant pas à la "Football League" à enlever la Cup. Sur une idée de la femme de Morton Cadman, alors président du club, le trophée fut remis au capitaine des Spurs, Jack Jones, orné de pièces de tissus aux couleurs du club. Cette tradition a toujours lieu aujourd’hui.

Ce succès fut fêté dans tout le Sud de l’Angleterre, et en particulier à Londres, avec un éclat particulier. Mais à la vérité, force est de reconnaitre que l’équipe de Tottenham n’avait, en ce début de siècle, pas grand-chose de "sudiste" : dans ses rangs opéraient un Irlandais, deux Gallois, trois Anglais du Nord et cinq Ecossais...

Source : "Le Football Britannique", par Patrick Blain, aux éditions Famot, 1979.